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Langues vivantes parlées dans le monde (estimation -jusqu'à 7000)Le magnifique de philippe de Broca (1973)
24# - LANGUES
La Culture se repose d'abord sur les langues. En faut-il au moins une pour penser ? La première question qui vient : au commencement est-ce le langage ou la pensée ? Que pensaient les premiers êtres humains tout juste capable de s'exprimer par la parole ? Quel était leur niveau de conscience ? Est-il possible de penser sans forme de langage ? Difficile de bien comprendre les tentatives d'explications de l'acquisition du langage qui a duré plusieurs milliers d'année. C'est finalement le langage qui distingue les premiers humains des animaux en rapport avec leur conscience d'exister.
Dans une langue : il y a l'oral et l'écrit.
Depuis l'apparition des premiers langages y compris la comptabilité et les mathématiques, il est possible de suivre les traces de l'#Histoire de l'humanité. Certains peuples se contentent de se transmettre leurs histoires sans écrits ce qui fonctionnement moins bien : dépendance à la capacité de la mémoire, erreurs, interprétations. Les langues elles-mêmes orientent les #Religions : le passage de l'hébreux, au grec puis latin a été fondamental chez les Chrétiens, de même que l'appropriation du Bouddhisme indien par les Chinois à partir du pali indien
Selon la Bible l'origine des langues remontent à l'orgueil des humains qui parlaient la même langue. Ayant voulu construire une tour, la tour de Babel, pour accéder au Paradis, Dieu a décider de les punir en les faisant parler des langues différentes.
Ceci pose la question scientifique de savoir si une langue mère a existé ou pas. Les linguistes parviennent depuis les années 90 a remonter les principales branches descendantes d'une sorte de langue primordiale, proto langue [1]. Mais malheureusement, l'origine des langues reste toujours une énigme pour la science malgré les travaux d'archéologues, de généticiens, de linguistes. C'est intéressant mais ce qu'il faut surtout comprendre c'est comment le langue et la pensée fonctionnent pour mieux se comprendre.
Aujourd'hui, il existe 3 000 langues différentes dont une dizaine domine largement la planète et une seule, l'anglais, peut-être considérée comme véritablement utilisée partout dans le monde.
Pendant que se développait le langage, les comportements humains se sont structurer formant des habitudes qui sont ensuite devenus des #Us&coutumes.
[1] L'un des livres les plus connus sur le celui fut celui de l'Américain Merritt Ruhlen (né en 1944) dans L'origine des langues (1994, mais 1997 en français). Ses travaux proposant une origine commune (la monogenèse) ont alimenté une controverse vieille de plusieurs siècles. Pour établir des ressemblances entre toutes les langues du monde, la méthode de Ruhlen consiste à procéder à des comparaisons entre des lexiques de référence (en l'occurrence: 27 formes orthographiques associées aux formes phonétiques) pour un grand nombre de langues choisies parmi des familles communément acceptées. Il s'agit du système de «comparaison multilatérale» proposée auparavant par le linguiste américain Joseph Greenberg (1915-2001).
[2] Traduction du Prologue de l'évangile selon Jean par Augustin Crampon (rédaction: 1864; édition: 1894): Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait, et sans lui n'a été fait rien de ce qui existe.
CHAPITRE 24 - LANGUES
4 systèmes d'écritures : latine , arabe, cyrillique et chinoise.
Les barrières linguistiques : un vrai problème mais que la technologie est en train de partiellement résoudre.
Lien Japanese - Comanche
Sanskrit
Hongrois-Finnois
NOTES
Notes
Pourquoi l’allemand rend-il les gens fous et permet-il tout en philosophie ? Le verbe vient tout à la fin de phrases interminables. C’est-à-dire qu’on peut hésiter, se reprendre, qu’on peut se dire « ou, ou, ou » pour finalement tomber à plat ventre sur le verbe, George Steiner
RESSOURCES
Bibliographie
Gènes, peuples et langues (travaux du collège de France), Luca Cavalli-Sforza, Odile Jacob, 1996Une histoire des langues, Jean Sellier, La Découverte, 2019
L'origine des langues : sur les traces de la langue mère, Merritt Ruhlen, Folio Essais, 2007
Les langages de l'humanité, Michel Malherbe, Robert Laffont 2010
interractions entre géographie, génétique, archéologie, linguistique et culturesXXX
J’aime l’escrime, d’abord à titre de Français, parce que c’est un art national, un fruit du pays comme la conversation. Qu’est-ce que faire des armes ? c’est causer ! Car qu’est-ce que causer ? n’est-ce pas parer, riposter, attaquer, toucher surtout, si l’on peut, et Dieu sait qu’à ce jeu-là, la langue vaut bien le fleuret.
Ernest Legouvé
Allemand et humour
L’Allemagne lanterne rouge de l’humour
Les Allemands sont les citoyens les moins drôles du monde. C’est ce qui ressort d’un sondage réalisé par le réseau social Badoo. Arrivés en tête de ce classement de 15 pays, les Etats-Unis seraient la nation ayant le plus grand sens de l’humour. La France, qui se classe en 5ième position, arrive devant la Grande Bretagne.
Les Allemands sont-ils victimes d’un cliché ? « L’idée que le peuple des grands penseurs et poètes soit perçu comme étant plus sérieux que les autres n’est pas nouvelle », relativise très sérieusement le quotidien Die Welt. La structure grammaticale complexe de la langue de Goethe, serait en partie responsable des difficultés de nos voisins germains à faire rire au-delà de leurs frontières. Le sens de l’autodérision, l’un des moteurs les plus efficaces de l’humour, leur ferait aussi défaut. Celle-ci reste délicate à manier dans un pays où l’on risque de déraper dans des préjugés à connotation historique.
Le classement de Badoo est injuste avec l’Allemagne, qui mériterait la palme de l’humour vache avec ses voisins du Sud de l’Europe surendettés. Lassés de devoir mettre la main à la poche pour les sauver de la banqueroute, les Allemands ont décidé d’en rire. Petit avant goût : « Comment retenir le nouveau numéro des renseignements téléphoniques (11 88 0) ? 11 millions de Grecs. 88 milliards de dettes. O chances de revoir notre argent ». Sans doute les voisins de l’Allemagne manquent-ils aussi de sens de l'auto-dérision ! Hennig Wehn, le seul comique allemand ayant réussi à s’exporter en Grande Bretagne explique : « Au final, nous les Allemands aimons tout autant rire que les Britanniques. A une différence près, c’est que nous préférons rire une fois que nous avons fini de travailler, alors que les Britanniques préfèrent rire au lieu de travailler ».
Le chinois est-il une langue comme les autres ?
Philippe Barret
Dans Revue internationale et stratégique 2011/1 (n° 81)
Une langue ancienne
Une des caractéristiques du chinois réside dans le fait que c’est une langue très ancienne. Or toute langue qui vit longtemps évolue beaucoup. Sa connaissance en est évidemment rendue plus difficile. De surcroît, c’est une langue très diverse dans l’espace où elle est utilisée : elle comporte d’innombrables dialectes et, plus que des dialectes, de véritables langues distinctes. Un Pékinois comprend mal le shanghaïen et ne comprend pas du tout le cantonais.
Cette diversité perdure encore, bien que les autorités aient délibérément opté pour le mandarin, ou « langue commune ». Mais dans beaucoup d’écoles, dans l’enseignement élémentaire voire au collège, on utilise la langue locale. Le mandarin n’est vraiment systématiquement et obligatoirement utilisé qu’au lycée. Le résultat est que beaucoup de Chinois ne comprennent ni ne parlent correctement le mandarin. Cela ne saurait d’ailleurs nous étonner. En 1789, on estime qu’un tiers de nos compatriotes seulement parlaient le français. En France aussi, l’unification linguistique a été affaire de longue haleine.
Cette diversité est cependant tempérée par l’unité de la langue écrite. Un Chinois du nord et un Chinois du sud ne se comprennent pas quand ils parlent, mais ils peuvent lire les mêmes journaux. Et la télévision est comprise par tous parce qu’elle est sous-titrée.
Une langue facile à parler
Contrairement à une opinion répandue en occident, le chinois n’est pas très difficile à parler, s’agissant du moins du chinois « de survie », ce qu’il faut en savoir pour se sortir d’affaire dans la rue, avec un chauffeur de taxi, dans un commerce ou au restaurant.
Et pourquoi ? D’abord parce qu’en chinois, la syntaxe est des plus simples, pour ne pas dire inexistante, sans rapport avec la complexité des langues indoeuropéennes. Et puis surtout, parce que la morphologie du chinois est pratiquement inexistante : en chinois, il n’y a ni genre, ni nombre pour les noms, les adjectifs et les pronoms, ni non plus, évidemment, de déclinaison ; il n’y a pas non plus de conjugaison des verbes. Un adverbe ou un quasi-auxiliaire suffit à donner une indication temporelle. La pratique de la langue en est d’autant simplifiée.
Le vocabulaire lui-même est souvent très logiquement simplifié. Les jours de la semaine qui, dans nos langues - aussi bien les indo-européennes que les sémitiques -, portent souvent des noms complexes, se disent en chinois : semaine-un, semaine-deux, semaine-trois, etc., et, pour le dimanche, semaine-jour. Même chose pour les mois. Plutôt que nos dénominations difficiles à écrire et à mémoriser, on a, en chinois : un-mois, deux-mois, trois-mois, jusqu’à douze-mois. Même simplification logique pour beaucoup de noms d’animaux. C’est ainsi qu’à partir d’un nom générique qui désigne le bœuf, on dit femelle-bœuf pour la vache, mâle-bœuf pour le taureau, petit-bœuf pour le veau, petit-femelle-bœuf pour la génisse. Bref, là où nous utilisons plusieurs mots sans racine commune, le chinois n’en utilise qu’un, accompagné de ses spécifications. Et le mammouth se dit poil-éléphant, ou le lièvre, sauvage-lapin. Quant à l’expression des nombres, elle est des plus simples - quand on la compare non seulement à celle des langues indo-européennes, mais surtout à celle de l’arabe classique ou de l’hébreu biblique : onze mots monosyllabiques pour les nombres de 0 à I0, un pour I00, un pour 1 000, un pour 10 000 et un pour 100 millions, ces quatre-là aussi monosyllabiques, voilà tout le vocabulaire de la numération chinoise. Et un seul mot invariable suffit à la transformation de tout cardinal en son correspondant ordinal.
Ce qui effraie souvent les occidentaux, c’est que le chinois, comme d’autres langues asiatiques, est une langue à tons. Au reste, les tons du mandarin sont peu nombreux : quatre, plus un ton « neutre », c’est-à-dire l’absence d’un ton prononcé, soit beaucoup moins qu’en vietnamien, où l’on en compte sept. Mais surtout, les tons ne sont pas aussi impératifs que ne le disent souvent les Chinois eux-mêmes. Naturellement, si l’on veut bien parler le chinois, il faut prononcer les tons. Mais c’est un peu comme le genre en français. Si l’on veut bien s’exprimer, il faut évidemment dire : aujourd’hui, le soleil brille. Mais enfin, si l’on dit : aujourd’hui, la soleil brille, on a certes fait une faute de français, mais tout le monde a compris ce que vous vouliez dire. Il en va un peu de même des tons en chinois. Dans la vie courante, non pas dans la conférence d’un professeur d’université ou le discours de certains hommes politiques, la prononciation des tons est souvent réduite à la première et à la dernière syllabes d’une phrase ou d’un membre de phrase. On est bien loin, en tout cas, d’entendre le ton de chaque mot et de chaque syllabe.
Beaucoup de Chinois vous diront qu’ils ne peuvent pas vous comprendre si vous ne prononcez pas exactement chaque ton. Mais eux-mêmes comprennent nombre de leurs compatriotes dont l’accent régional consiste souvent en un changement de ton. Et d’ailleurs, ils comprennent le texte d’une chanson, dans laquelle la mélodie interdit la prononciation du ton.
Et surtout, en chinois, les caractères homophones sont innombrables. Maints caractères se prononcent de la même façon, avec le même ton. C’est d’ailleurs pourquoi la langue classique chinoise, la poésie notamment, mais pas seulement, dès lors qu’elle est écrite, emploie le plus souvent des mots formés d’un seul caractère. Dès lors que ces caractères sont écrits, on en connaît le sens indubitable. Mais dans la langue parlée - et par suite, dans la langue écrite contemporaine - on recourt le plus souvent à des mots composés de deux caractères. S’il suffisait d’en prononcer le ton pour en deviner le sens, cette pratique serait inutile. Mais du fait de la confusion inhérente à la multiplicité des homophones, il est nécessaire quand on parle, et qu’on ne peut pas lire les caractères, d’agréger deux caractères pour se faire entendre. Bien entendu, il n’est pas rare que même ainsi accouplées, les deux syllabes ne se distinguent que par le ton de chacune d’elles. Mais alors, le contexte suffit généralement à lever l’incertitude. C’est ainsi que le mot qui désigne le lion et celui qui désigne le pou se prononcent rigoureusement de la même façon. Dans l’usage, on ne fait pas la confusion, pas plus qu’en français on ne confond la « fois » et la « foi ».
Voilà pourquoi, la difficulté du chinois comme langue à tons n’est pas si considérable qu’on pourrait le croire.
L’écriture
C’est évidemment par l’écriture que le chinois se distingue radicalement des autres langues. Certes le japonais et le coréen utilisent aussi des idéogrammes, qui ont d’ailleurs une origine chinoise. Mais le japonais a également recours à des caractères syllabiques. Et surtout, le nombre des caractères utilisés par les Japonais est sans rapport avec celui des Chinois. Le japonais comporte environ 3 000 caractères et avec 1800 caractères, la lecture est aisée. Le plus complet dictionnaire chinois, élaboré au début du XXe siècle, comporte 46 000 caractères.
Certes, personne ne connaît 46 000 caractères. Les Chinois ont d’ailleurs tendance à surestimer le nombre de caractères qu’ils connaissent. Un Chinois qui est allé à l’école et au collège se prévaudra volontiers de connaître 4 000 à 5 000 caractères, quand il n’en connaît que 2 à 3 000. Et un Chinois qui a fait des études supérieures prétendra pareillement connaître 10 000 à 12 000 caractères, quand il n’en connaît que 4 à 5 000, ce qui est déjà considérable.
À la fin du XIXe siècle, nombre d’intellectuels chinois se sont interrogés sur les raisons de la supériorité des puissances occidentales, y compris du Japon occidentalisé, qui non seulement avaient humilié la Chine dans les guerres de l’opium puis dans la guerre sino-japonaise, mais qui poursuivaient leurs entreprises semi-coloniales à travers l’octroi de concessions, et bientôt le soutien à l’indépendance du Tibet. Parmi ces raisons, on désigna le système de l’écriture de la langue chinoise, comparé à celui des langues occidentales. D’un côté, un ensemble de vingt et quelques lettres qui, une fois mémorisées, permettait un accès direct à la lecture et à l’écriture ; de l’autre, plusieurs milliers de caractères particulièrement difficiles à dessiner et à apprendre. Comme ils croyaient dans les vertus de l’éducation et du savoir, ils n’en concluaient que les occidentaux, après avoir facilement généralisé l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, s’étaient acquis une incontestable supériorité sur un peuple chez qui ces capacités, par la complexité et la durée de leur acquisition, étaient interdites au plus grand nombre.
La conclusion qu’ils en tirèrent généralement était qu’il fallait abandonner l’écriture des caractères traditionnels et transcrire la langue chinoise en caractères latins. Au début du XXe siècle cette conviction fut si largement partagée que la latinisation du chinois fut inscrite au programme des deux principaux partis politiques, le Guomindang et le Parti communiste. Un mot d’ordre produit par le Mouvement du 4 mai 1919 résume mieux que tout cette conviction : « Si les caractères ne sont pas supprimés, la Chine doit mourir [1][1]« hanzi bu mie, zhongguo bi wang ». ».
À cette époque, certains intellectuels modernistes, occidentalistes pourrait-on dire, allaient encore plus loin. Ainsi Lu Xun qui, relayant les thèses passablement européistes d’Arthur Smith, écrivait : « La langue chinoise, parlée ou écrite, ne possède pas de règles grammaticales bien précises. [...] Le caractère rudimen-taire de la grammaire chinoise constitue alors une preuve que la pensée chinoise ne peut pas être très raffinée. En d’autres termes, l’esprit chinois est resté dans un état embrouillé » [2][2]Arthur Smith est un missionnaire américain qui s’est rendu…. Nous ne suivons pas ces conclusions si négatives.
On connaît la suite. À Taïwan, le Guomindang en resta aux caractères traditionnels. Sur le continent, le gouvernement communiste, qui avait déjà fort à faire en matière linguistique, en imposant partout l’usage du mandarin, limita la réforme à l’adoption, en 1959, d’un système de caractères simplifiés. Pour se faire une idée de la simplification dont il s’agit, il suffit de rappeler que les caractères traditionnels comportent de un à trente-cinq traits, tandis que les caractères « simplifiés » n’en comportent que de un à vingt-cinq !
La lecture et l’écriture, voilà la vraie et la principale spécificité de la langue chinoise. Voilà aussi la vraie difficulté de son apprentissage. Cet apprentissage n’est déjà pas simple pour un enfant chinois, qui, arrivant à l’école, connaît déjà la prononciation, ton compris, et la signification des principaux caractères. Pour un étranger, il faut mémoriser non seulement le dessin du caractère, mais aussi sa prononciation, son ton et sa, ou plutôt, bien souvent, ses significations.
Une question que les Occidentaux omettent de se poser, parce qu’ils ignorent en général la langue chinoise : quels seront les effets de l’alphabétisation de la totalité de la population chinoise ? Une partie de ces effets nous sont connus ; ce sont les mêmes que nous avons connus par l’alphabétisation des populations occidentales : l’élévation massive du niveau culturel. Une autre ne peut être qu’imaginée. Il faut, pour cela, se figurer ce que deviendra une population qui, dans sa totalité, aura, pendant les six années de l’école élémentaire, qui sont à cela pour l’essentiel consacrées, sans compter la poursuite de l’apprentissage des caractères au collège, exercé son acuité visuelle et l’extrême précision de son geste : il faut savoir qu’un caractère se dessine au demi-millimètre près. Contrairement à nos lettres, que l’on peut dessiner de façon assez approximative, un trait qui en dépasse, fût-ce infime-ment, un autre, change la nature du caractère et sa signification. À quoi il faut ajouter l’ordre dans lequel sont dessinés les traits de chaque caractère qui doit être strictement respecté. À quoi il faut encore ajouter un effort soutenu de mémoire, quand, dans les pays occidentaux, on tend à réduire sa place dans l’enseignement, au motif qu’elle serait peu instructive. Mais pour apprendre à lire et écrire le chinois, il n’est pas de nouvelle pédagogie qui vaille. Ne négligeons pas ce fait : dans les prochaines décennies - et c’est déjà une situation largement acquise - nous aurons à faire à une population dotée de facultés intellectuelles particulières, qu’aucune autre au monde n’aura cultivée avec autant de constance.
On l’aura compris, notre réponse à la question initiale est négative : non, le chinois n’est pas une langue comme les autres.
Cette étrangeté radicale de la langue chinoise devrait être une motivation forte pour répandre son apprentissage en France. La demande existe. De nombreuses familles souhaiteraient que leurs enfants étudient le chinois. Elles y voient en général, non pas un gain culturel, mais plutôt un atout dans la carrière professionnelle.
Or l’enseignement du chinois est en France peu développé : 20 000 élèves environ. L’administration se glorifie pourtant volontiers des progrès accomplis en la matière. Il est vrai que le taux de croissance annuel du nombre des élèves sinisants est élevé : 20 à 30 %. Mais lorsqu’on part de zéro, des taux de croissance élevés ne mènent pas très loin ni très haut. C’est qu’en réalité le développement de l’enseignement de la langue chinoise se heurte à trois obstacles.
D’abord la réticence des professeurs de langues vivantes, qui craignent que ce développement ne les prive de leurs élèves : plus de chinois, c’est, inévitablement, moins de russe, d’italien, d’allemand ou d’espagnol. Et les professeurs d’anglais qui, eux, ne sont pas menacés par ce développement, se solidarisent avec leurs collègues. Les ministres de l’Éducation nationale et, dans les académies, les recteurs, ne sont pas enclins à mécontenter leurs personnels.
Ensuite, la demande d’enseignement du chinois émane surtout des familles aisées. Au ministère de l’Éducation nationale, une telle origine est suspecte. C’est ainsi que l’enseignement du chinois est peu présent dans les établissements les plus prestigieux : on considère qu’il n’est pas opportun de les doter d’un « privilège » supplémentaire.
Enfin, on manque de professeurs, entendez de professeurs dûment certifiés ou agrégés. Or recourir, dans l’enseignement public, à des professeurs n’ayant pas été recrutés par les concours ordinaires est comme une incongruité.
On aperçoit, par ce diagnostic, la thérapie : d’abord décider de répondre à une demande qui correspond à l’intérêt public. Les meilleures universités américaines le font, où désormais, la deuxième langue enseignée, après l’espagnol, c’est le chinois. Et pour cela, se résoudre à recruter des professeurs d’origine chinoise, même s’ils n’ont pas acquis la nationalité française, même s’ils n’ont pas passé les concours de recrutement. Il ne manque pas, en France, d’étudiants chinois - 25 000 environ - dont beaucoup ont un niveau d’étude équivalent au doctorat, et qui, moyennant quelques stages de formation pédagogique, pourraient aisément enseigner très efficacement leur langue maternelle.
Mais cela, c’est, dans l’Éducation nationale, comme une révolution culturelle. En attendant, les familles les plus désireuses de voir leurs enfants apprendre le chinois peuvent toujours se tourner vers les établissements privés, où l’on est moins attaché aux habitudes acquises et où, de fait, l’enseignement du chinois réalise de remarquables progrès. ?
Notes
[1]« hanzi bu mie, zhongguo bi wang ».
[2]Arthur Smith est un missionnaire américain qui s’est rendu célèbre - du moins en Chine - par la publication de Chinese Characteristics, en 1894. La citation de Lu Xun (Lu Xun quanji, t. IV, Beijing, Renmin wenxue chubanshe, 1991, p. 382) est tirée d’un très remarquable article de Chu Xiaoquan, professeur de linguistique à l’université Fudan de Shanghaï, « Identité de la langue, identité de la Chine », in La pensée chinoise aujourd’hui, sous la direction d’Anne Cheng, Gallimard, Folio-essais, Paris, 2007.
Les dix principales langues au Monde
Plusieurs milliers de langues existent dans le monde. Quelques unes dominent pour des raisons démographiques. Les liens entre Langue et Pouvoirs expliquent le classement suivant (en nombre de personnes capables de parler en langue maternelle :
1. Le Chinois mandarin
Le site Ethnologueestime le nombre de locuteurs natifs chinois à presque 1 milliard de personnes, dont 1 milliard parlant le mandarin, langue tonale à pictogrammes.
2. L’espagnol
En terme de locuteurs natifs, l’espagnol devance l’anglais puisqu’on dénombre plus de 400 millions de personnes. L’espagnol, parlé sur tous les continent (Philippine en Asie) est malgré des différences (Catalan) la langue officielle de la plupart des pays d’Amérique latine, de l’Espagne ainsi que d’une partie de la population nord-américaine – ce qui en fait la deuxième langue la plus parlée au monde.
3. L’anglais
L'anglais est parlé par plus de 360 millions de locuteurs natifs et 1 milliard de personnes le parle en seconde langue (au même niveau que le mandarin). Ça démontre le succès de l’anglais en tant que moyen de communication dans le milieu des affaires, les voyages et les relations internationales.
4. Le hindi
L'hindi fait partie des langues les plus parlées alors que les régions de l'Inde qui le parlent n'ont pas de pouvoirs spécifiques, ni n'en ont jamais eu. Seule la démocraphie explique cette position dans ce classement.
L’Inde compte 23 langues officielles dont la principale est le hindi/ourdou.
5. L’arabe
[Il y aurait environ 250 millions de locuteurs natifs arabes]
6. Le portugais
Le portugais compte aujourd'hui 215 millions de locuteurs natifs éparpillés entre autres au Brésil, à Goa, en Angola, au Mozambique, au Cap-Vert, en Guinée-Bissau, à São Tomé-et-Príncipe et à Macao.
7. Le bengali
[Le bengali, un dialecte parlé par environ 170 millions de personnes]
Le bengali est la langue de Calcutta, des îles Andaman et d’environ 170 millions de personnes. Mal connu, cette langue est mise à l'honneur dans le livre du roumain spécialiste reconnu des religions Mircéa Eliade, la Nuit Bengali (1933) dont un film a été tiré en 1988 (interprétation Hugh Grant).
8. Le russe
[On compte de plus en plus de locuteurs russes, avec 145 milliosn de locuteurs natifs.
9. Le japonais
[Environ 130 millions de personnes parlent japonais dans le monde]
Il s’agit sans conteste de la langue la plus concentrée géographiquement, la quasi-totalité de ses 130 millions de locuteurs natifs vivant au Japon. Les Japonais jonglent entre deux systèmes d’écriture : les hiraganas et les katakanas. Ils utilisent aussi parfois les caractères chinois kanjis. En dehors du Japon, les plus grandes communautés de japonophones se trouvent aux États-Unis, aux Philippines et au Brésil.
10. Le pendjabi/Le lahnda
[Le pendjabi est parlé par près de 100 millions de locuteurs natifs]
Avec des estimations qui tournent autour de 100 millions de locuteurs natifs. La langue est aujourd’hui parlée dans certaines régions de l’Inde et du Pakistan.
Le français arrive vers la 20ème place avec 76 millions de personnes (France, Québec, Belgique) selon la langue maternelle. En revanche, en nombre de locuteurs, le chiffre tournerait autour des 230 à 300 millions de personnes en faisant la 6ème langue la plus parlée dernière les 5 premières du classements.
Origine des langues
L'origine des langues
1 Monogénèse et polygénèse
La question de l'origine des langues a toujours suscité de nombreuses hypothèses et mis a contribution les travaux tant des anthropologues, que des archéologues, des généticiens, des linguistes, etc. En 1865, la Société de linguistique de Paris avait informé ses membres dans ses règlements qu'elle ne recevrait «aucune communication concernant [...] l'origine du langage». Mais la question a continué néanmoins à hanter les linguistes et la recherche d'une langue mère unique s'est poursuivie, si tant est qu'une telle langue ait existé. Dans L'Homme de paroles (Fayard, 1996), le linguiste français Claude Hagège réfute le mythe d'une langue commune unique :
Contrairement à l'idée courante, il est très probable que l'immense diversité des idiomes aujourd'hui attestés ne se ramène pas à une langue originelle unique pour toute l'humanité. S'il y a unicité, c'est celle de la faculté de langage propre aux hominiens et non celle de la langue elle-même. À l'origine, donc, une seule espèce (monogénétisme de la lignée), mais non un seul idiome (polygénisme des langues).
Néanmoins, l'idée d'une langue mère relève d'un fantasme ancien. Dès le Moyen Âge, on croyait à l'existence d'une langue originelle de l'humanité, jusqu'à ce que la colère de Dieu intervienne après l'épisode de la tour de Babel. Pendant longtemps, on a cru que l'hébreu était la langue d'Adam et d'Ève, d'autres ont pensé au latin ou au grec. Pour leur part, les musulmans ont toujours cru que la première langue de l'humanité était l'arabe. À partir du XIXe siècle, certains linguistes ont persisté dans ce type de recherche; ils ont été suivis par des spécialistes de la génétique des populations. L'un des livres les plus connus sur le celui fut celui de l'Américain Merritt Ruhlen (né en 1944) dans L'origine des langues (1994, mais 1997 en français). Ses travaux proposant une origine commune (la monogenèse) ont alimenté une controverse vieille de plusieurs siècles. Pour établir des ressemblances entre toutes les langues du monde, la méthode de Ruhlen consiste à procéder à des comparaisons entre des lexiques de référence (en l'occurrence: 27 formes orthographiques associées aux formes phonétiques) pour un grand nombre de langues choisies parmi des familles communément acceptées. Il s'agit du système de «comparaison multilatérale» proposée auparavant par le linguiste américain Joseph Greenberg (1915-2001).
Quoi qu'il en soit, Merritt Ruhlen a avancé la thèse d'une proto-langue mère originelle et commune à toutes les superfamilles, qui aurait vécu vers 50 000 ans avant notre ère. Selon lui, le premier mot prononcé par l'homme serait la monosyllabe tik («doigt») ou aq'wa («eau»), appartenant à 32 familles de langues et proto-langues reconnues par la majorité des linguistes. Cela étant dit, les critiques portant sur la méthodologie de Ruhlen sont innombrables. Non seulement on peut se demander si les ressemblances relevées par Ruhlen sont dues ou non au hasard, mais on met en doute la capacité des sons humains à se maintenir sur des dizaines de milliers d'années. Malgré tout, nombreux sont ceux qui reconnaissent au moins à Merritt Ruhlen le mérite d'avoir raison sur le fond: toutes les langues pourraient avoir une source unique, sauf que nous n'en savons strictement rien. L'origine des langues reste toujours une énigme pour la science.
Cependant, si le moment de l'émergence du langage demeure encore une énigme pour la science et divise les linguistes, il est généralement admis que l'aptitude au langage se soit inscrite il y a environ 2,2 millions d'années dans le code génétique de l'Homo habilis, dont la capacité à fabriquer des outils témoigne déjà d'une grande complexité de l'organisation neurologique. On croit que cette aptitude n'aurait été utilisée que bien plus tard par l'Homo erectus, sinon par l'Homo sapiens sapiens, selon les plus prudents. Les langues, dans leur sens moderne, ne seraient apparues qu'entre 80 000 à 60 000 avant notre ère, en Afrique de l'Est ou au Proche-Orient, alors que nos ancêtres, les Homo sapiens sapiens, n'étaient plus que quelques milliers d'individus. À supposer qu'ils aient pu parler, on peut se demander s'ils parlaient une langue commune — théorie de la monogénèse — auquel cas les quelque 6000 langues actuelles descendraient de cette langue parlée il y a 60 000 à 80 000 ans. On peut aussi imaginer que des langues existaient bien avant cette date et que les langues ne se soient développées qu'après la dispersion des différents groupes d'Homo sapiens (théorie de la polygénèse). Dans l'état actuel des choses, les outils de la science et de la linguistique comparée ne nous permettent pas d'en savoir davantage.
Pour sa part, le linguiste américain Noam Chomsky croit qu'il est possible qu'il y ait eu une langue d'origine unique, mais nous n'en savons strictement rien :
We don’t come from Adam and Eve. Get your facts right. The story of Adam and Eve is completely false. Get out to the world and teach yourself some reality. As for the origin of languages, it is possible that languages have single origin. But, we don’t have clear evidence yet. [Nous ne venons pas d'Adam et Ève. Vérifiez vos sources. L'histoire d'Adam et Ève est complètement fausse. Sortez de votre monde et renseignez-vous sur une certaine réalité. Quant à l'origine des langues, il est possible que les langues aient une origine unique. Mais nous n'avons encore aucune preuve évidente.]
La théorie néo-darwinienne de l’évolution plaide en faveur du polygénisme, c'est-à-dire que plusieurs couples humains seraient à l’origine de l’humanité. C’est au sein d’une espèce que prennent place les mutations génétiques, lesquelles séparent les espèces entre elles. Toutefois, cette théorie recèle encore beaucoup de zones d’ombre. On ne se surprendra pas que, dans ces conditions, la question sur l'origine des langues ne soit pas encore résolue.
2 Les méthodes classificatoires des langues
Il existe deux grands principes classificatoires des langues. Le premier s'intéresse aux classements typologiques; le second aux classements génétiques. La classification typologique des langues a pour but leur description et leur regroupement en fonction de certaines caractéristiques communes de leurs structures, sans rechercher nécessairement l'établissement de généalogies ou de familles de langues. La classification génétique s'intéresse plutôt aux familles de langues, c'est-à-dire à un ensemble de langues effectivement parentes, qui descendent d'une langue présumée commune ou originelle.
2.1 La méthode typologique
Dans les classements typologiques, les langues peuvent être caractérisées selon divers traits linguistiques. Par exemple, on peut classer les langues en fonction de critères phonétiques ou phonologiques, morphologiques ou syntaxiques.
- Les critères phonétiques ou phonologiques
C'est ainsi que l'on pourra distinguer les langues en fonction de leur système vocalique: les langues à trois voyelles ([i], [u], [a]), les langues à double articulation antérieure (voyelles non arrondies et arrondies), les langues à double articulation postérieures (voyelles non arrondies et arrondies), les langues à double durée vocalique, etc.
Du côté des consonnes, certains linguistes ont tenté de classer les langues en fonction des modes d'articulation: les langues à consonnes occlusives limitées (une seule), à consonnes fricatives limitées (seulement le [t]), les langues à consonnes prénasalisées ou post-nasalisées, les langues à clics, les langues à deux modes articulatoires, etc. D'autres distinguent les langues «à tons» (comme le chinois, le vietnamien, le birman), les langues «à accent tonique fixe» (tchèque, finnois, hongrois), les langues à accent tonique «à valeur phonologique» (russe), etc. Comme on le constate, il est possible d'en arriver à de nombreux types de classements. Le problème, c'est d'obtenir l'accord des spécialistes sur la question.
- Les critères morphologiques
Parmi les systèmes de classement typologique, les critères d'ordre morphologique semblent les plus connus. On distingue ainsi trois types principaux de langues: les langues isolantes, les langues agglutinantes et les langues flexionnelles.
a) Langue isolante
Il est admis de considérer une langue comme isolante lorsque les mots sont ou tendent à être invariables. En fait, une langue est isolante lorsque chacun des morphèmes est identifié à des mots graphiques isolables. Cela signifie que les marques du genre et du nombre, par exemple, constituent des morphèmes distincts et séparés du lexème, parce que chacun des mots correspond à un radical unique. Les langues isolantes les plus connues sont le chinois, le cantonais, le vietnamien, le laotien et le cambodgien. Voici un exemple en chinois:
ta chi fan le ta chi le fan
il/elle a mangé repas/nourriture "passé" il mange passé repas
= Il/elle a pris son repas.
b) Langue agglutinante
Dans une langue agglutinante, au contraire, on juxtapose au radical une série de morphèmes distincts servant à exprimer les rapports grammaticaux. Dans ce type de langue, chacun des affixes (préfixes, infixes ou suffixes) est clairement analysable et identifie précisément une fonction grammaticale ou syntaxique. En voici quelques exemples en turc, en quechua, en swahili et en créole haïtien.
En turc En quechua En swahili En créole haïtien
ev = maison
evim = ma maison
evlerim = mes maisons
evimden = de ma maison
evlerimden = de mes maisons
wasi = (la) maison
wasikuna = (les) maisons
wasip = dans la maison
wasikunap = dans les maisons
wasiykikunap = dans tes maisons
penda = aimer
anapenda = il aime
atapenda = il aimera
amependa = il a aimé
atanipenda = il m'aimera
amakupenda = il t'a aimé
utanipenda = tu m'aimeras
li mangé = il mange (présentement)
li ape mangé = il mange (intemporel)
li te mangé = il a mangé
li tap mangé = il mangeait
li va mangé = il mangera
li tava mangé = il aurait mangé
li ta mangé = il mangerait
c) Langue flexionnelle
Enfin, dans une langue flexionnelle, les radicaux sont pourvus d'affixes grammaticaux variables et exprimant plus ou moins à la fois, par exemple, le genre, le nombre et le cas, ou la personne, le temps, le mode, la voix, etc. La plupart des langues européennes sont des langues considérées comme flexionnelles. Ainsi, en latin, la série bonus dominus, boni domini, bonos dominos oppose des morphèmes identifiant à la fois le nominatif (sujet) masculin singulier (bonus dominus), ou le génitif masculin singulier (boni domini), ou le nominatif masculin pluriel (boni domini), ou encore l'accusatif masculin pluriel (bonos dominos). Référons-nous encore une fois au système russe qui oppose des terminaisons identifiant à la fois le cas, le genre masculin, féminin ou neutre, ainsi que le nombre.
MASCULIN: dom («maison»)
singulier - pluriel FÉMININ: ulica («rue»)
singulier - pluriel NEUTRE: tchuvstvo («sensation»)
singulier - pluriel
Nominatif : dom domi
Génitif : doma domov
Accusatif : dom domi
Datif : domu domam
Locatif : dome domax
Instrumental : domom domami
Nominatif : ulica ulicci-
Génitif : ulici- ulic
Accusatif : ulicu ulicci-
Datif : ulice ulicam
Locatif : ulice ulicax
Instrumental : ulicoy ulicami
Nominatif : tchuvstvo tchuvstva
Génitif : tchuvstva tchuvstv
Accusatif : tchuvstvo tchuvstva
Datif : tchuvstvu tchuvstvam
Locatif : tchuvstve tchuvstvax
Instrumental : tchuvstvom tchuvstvami
Il arrive parfois que la variante flexionnelle soit interne; on parle en ce cas d'infixe. On aura, par exemple, en anglais I drink, I drank, I have drunk (je bois, je buvais, j'ai bu), et en allemand Ich spreche, Ich sprach, Ich habe gesprochen (je parle, je parlais, j'ai parlé).
Ces distinctions ne sauraient être considérées comme absolues et il conviendrait de parler en termes de degré. Le français est parfois de type flexionnel (cheval/chevaux), parfois de type isolant (je suis/tu es), parfois de type agglutinant (épais/épaisse). Un syntagme comme porte-manteau est isolant, alors qu'une opposition du genre pomme/pommier est flexionnelle. De même pour les cas suivants:
Français
Espagnol
Portugais
Italien pomme → pommier
manzana → manzano
maça → macieira
mela → melo Type flexionnel
Anglais
Allemand
Néerlandais
Danois apple → apple tree
Apfel → Apfelbaum
appel → appelboom
aeble → aebletrae Type isolant
Il importe donc de définir pour chacune des langues le caractère dominant, car une langue peut être plutôt flexionnelle et présenter, par exemple, des traits isolants et agglutinants.
- Les critères syntaxiques
Un autre critère pour classer les langues du monde est de recourir à l'ordre des mots dans la phrase. Autrement dit, c'est le critère syntaxique qui sert alors à distinguer les langues. Pour ce faire, on compare l'ordre du sujet, du verbe et du complément dans la phrase. Ainsi, en français, l'ordre syntaxique le plus courant est l'ordre sujet + verbe + complément (SVC). Voyons ce qu'il en est dans d'autres langues, notamment en turc, en gallois, en malgache et en hixkaryana (langue amérindienne de l'Amazonie):
En français: [SVC] = Cet homme construit une maison.
Turc [SCV] Gallois [VSC] Malgache [VCS]
Hixkaryana [CVS]
Hasan Ëküz-ü ald-i.
Lladdodd y ddraig y dyn.
Nahita ny mpianatra ny vehivavy.
Toto yahosiye kamara.
Hasan boeuf (acc.) a acheté
tua le dragon l'homme
a vu l'élève la femme
homme saisit jaguar
«Hasan a acheté le boeuf.»
«L'homme tua le dragon.» «La femme a vu l'élève.» «Le jaguar saisit l'homme.»
Ces systèmes de classification typologique présentent certainement un intérêt, mais ils ont tous comme défaut principal de ne pas être très rigoureux. Pour cette raison, beaucoup de linguistes préfèrent classer les langues par famille, c'est-à-dire la méthode génétique.
2.2 La méthode génétique
La méthode génétique provient d'une conception biologique de la langue qu'avait adoptée le linguiste et philologue allemand Franz Bopp (1791-1867) au XIXe siècle. Celui-ci s'était représenté les langues comme des êtres humains dont on pouvait suivre la naissance, la vie et la mort. Selon cette même conception, les langues avaient des «parents»; en ce sens, on parle de «langue mère», de «langues sœurs», de «langues cousines», etc. C'est dans cet esprit que le mot génétique a été appliqué à la linguistique. Aujourd'hui, ce mot est utilisé de plus en plus dans le sens de «historique»: lorsqu'on recherche des états de langue anciens, il est légitime de penser en termes d'affiliation et de parenté linguistiques.
- Liens de parenté linguistique
En analysant des milliers de langues parlées dans le monde, les linguistes ont pu établir certains liens de parenté plus ou moins étroits entre des parlers dont plusieurs peuvent représenter des évolutions différentes d'un même prototype (du grec protos: «premier», «primitif»). Généralement, on réserve l'expression «famille linguistique» à l'ensemble formé de toutes les langues de même origine (p. ex., la famille indo-européenne, la famille sémitique).
Ces familles comprennent des sous-ensembles appelés «sous-familles» ou «branches» (p. ex., la branche romane, la branche germanique, la branche slave, etc.). Ces branches sont elles-mêmes constituées de certaines langues plus étroitement apparentées entre elles qu'avec d'autres. Ainsi, les langues de la branche romane (français, espagnol, italien, espagnol, etc.) diffèrent de celles de la branche germanique (anglais, allemand, néerlandais, danois, etc.) et slave (russe, polonais, tchèque, slovène, etc.), mais elles appartiennent toutes à la même famille: la famille indo-européenne. Cette famille est ainsi appelée parce qu'elle regroupe un grand nombre de langues en usage depuis l'Inde (en passant par le Pakistan, l'Iran, l'Iraq, la Syrie et la Russie) jusqu'à l'Europe de l'Ouest (du Portugal à Moscou en passant par l'Islande et la Grèce.
On utilise aussi le terme de «groupe» (p. ex, les langues du groupe andino-équatorial de l'Amérique du Sud). Il s'applique indifféremment à un ensemble de familles, à une famille, à un ensemble de langues d'une branche. L'utilisation de ce terme sous-entend que le classement n'est pas encore fixé ou n'est pas fixé de façon certaine.
- Des hypothèses
Il ne faudrait pas croire que l'établissement de liens de parenté entre les langues repose toujours sur une langue originelle véritable. Dans certains cas, il s'agit d'hypothèses que l'on formule d'après des analyses comparatives et historiques, afin de constituer des ensembles de langues. Les linguistes ont reconstitué des langues originelles, des protolangues, qui n'ont jamais été attestées et qui, pour cette raison, demeurent des langues purement hypothétiques. C'est le cas de l'indo-européen, reconstruit par les linguistes, car, étant donné qu'aucun document écrit ne peut confirmer son authenticité, on ne peut supposer l'existence de cette langue.
Le seul fait dont on est sûr, c'est que, entre un certain nombre de langues diverses, entre un ensemble de traits communs remarquables, il existe une parenté indiscutable. On ignore comment était parlé l'indo-européen primitif, mais on connaît les langues qui en sont issues et ce qu'elles sont devenues en se différenciant de plus en plus avec le temps: le sanskrit en Inde, le vieux-perse en Iran et, en Europe, le grec, le latin, le celtique, le germanique, le slave, etc.
En général, la communauté scientifique a établi un consensus pour admettre l'existence d'environ 300 familles qui remonteraient au début de notre ère. Quant aux macro-familles (les superfamilles), estimées entre 10 et 20 selon les auteurs, elles suscitent la controverse. Le linguiste américain Merritt Ruhlen avait déjà proposé de réunir toutes les langues en seulement trois familles: l'eskimo-aléoute, le na-déné et l'amérinde, cette dernière regroupant en une superfamille les langues d'Amérique, l'indo-européen et les langues d'Asie sous le nom de eurasiatique.
En somme, lorsque les linguistes se penchent sur l’origine des langues et des mécanismes du langage, ils se heurtent d’emblée au mystère même de l’histoire de l’humanité, ainsi que de son évolution à travers les millénaires.
Et voilà pourquoi l’allemand met le verbe à la fin
C’est dans la syntaxe que se joue le choc, jubilatoire, des univers mentaux. La démonstration de Heinz Wismann, philosophe allemand à Paris, auteur de «Penser entre les langues». Dans un français parfait
Le Temps: Dans votre livre* «Penser entre les langues», vous écrivez, à propos du «Hochdeutsch»: «Cette langue qui, pour être parlée, suppose que les locuteurs soient libérés de la contingence des affects.» C’est exactement l’argument avancé par les Alémaniques pour défendre leur emploi du dialecte. Les Allemands parlent-ils donc aussi le dialecte en famille?
Heinz Wismann: Par Hochdeutsch, on désigne la langue allemande codifiée, imposant le respect strict de ses règles syntaxiques. Et j’observe qu’à partir du moment où, entre deux locuteurs, l’affect s’en mêle, où la tonalité de l’échange devient plus familière, la syntaxe est malmenée. Mais cela ne veut pas dire que tous les Allemands parlent en famille un dialecte comme en Suisse. De fait, la plupart du temps, ils parlent une langue intermédiaire, volontiers teintée d’inflexions dialectales mais, surtout, syntaxiquement en rupture avec le carcan du pur Hochdeutsch, qui est terriblement contraignant.
– Pourquoi l’est-il?
– Le français place le déterminant après le déterminé: «Une tasse à café». En allemand, c’est l’inverse: Eine Kaffeetasse. Si vous appliquez ce principe à la structure de la phrase, vous obtenez une accumulation d’éléments chargés de déterminer quelque chose qui n’est formulé que plus tard. De la part du locuteur, cela demande une discipline de fer. C’est pourquoi les présentateurs des informations télévisées lisent en général leur texte: il est malaisé d’improviser correctement en Hochdeutsch. Par ailleurs, cette structure syntaxique limite la spontanéité de l’échange car elle oblige l’interlocuteur à attendre la fin de la phrase pour savoir de quoi il est question. D’où les remarques critiques de Madame de Staël sur l’impossibilité d’avoir une conversation en allemand…
– … parce qu’on ne peut pas interrompre un Allemand qui parle. Est-ce cela, le propre de la conversation: interrompre son vis-à-vis?
– Aux oreilles d’un Allemand, les Français sont des gens qui parlent tous en même temps. Mais s’ils peuvent se permettre de s’interrompre, c’est parce qu’ils évoluent dans une structure syntaxique où l’essentiel est posé d’emblée et l’accessoire suit. Ainsi, le «gazouillis» des salons français vanté par Madame de Staël consiste à emboîter le pas à celui qui parle comme on relance un ballon, à faire circuler la parole dans un esprit de connivence.
– Mais d’où vient la rigidité de l’allemand? Est-ce du fait que, contrairement à la plupart des idiomes européens devenus langues nationales, le «Hochdeutsch» n’était pas, à l’origine, une langue parlée?
– L’histoire du Hochdeutsch est compliquée. Elle puise son origine dans la traduction des Evangiles par Luther. On a bien affaire à la grammaticalisation d’un dialecte, mais à l’aide du grec ancien. On peut dire, pour faire court, qu’avant d’être adopté comme langue nationale, le Hochdeutsch a été une langue littéraire, puis administrative, mais pas vraiment parlée.
– Chaque langue, écrivez-vous, véhicule un rapport particulier au réel. Et l’instrument privilégié de ce «vouloir dire», c’est la syntaxe. Que «veut dire» cette bizarrerie allemande qui consiste à placer le verbe à la fin de la phrase?
– Elle dit que le verbe est essentiel. Elle indique que l’action verbale, élément ultime de la chaîne des déterminations successives, porte l’ensemble de l’énoncé. Par contraste, la phrase latine est conçue à partir du sujet, sur lequel s’appuie le reste de l’énoncé. Il y a un rapport d’équivalence avec l’attribut, qui s’accorde en genre et en nombre: «La femme est grande.» Entre les deux, l’«auxiliaire» joue un rôle subalterne de copule. En allemand, le verbe est beaucoup plus puissant. On dit «La femme est grand», ce qui suppose quelque chose comme un verbe «grand être» où ce qui en français est attribut revêt une fonction adverbiale. On retrouve cette différence fondamentale dans la notion même de «réalité»: la «res» latine est une entité nettement circonscrite, distincte, à la limite immobile. La Wirklichkeit provient du verbe wirken, agir. Elle correspond à une réalité essentiellement dynamique. Certes, on peut aussi dire Realität en allemand, mais seulement pour constater un état de fait, le plus souvent assorti d’une nuance de regret: les rides qui se creusent sur mon front sont une Realität, pas une Wirklichkeit. On a affaire à deux univers mentaux, qui mettent l’accent l’un sur le mouvement, l’autre sur la localisation.
– Mais la langue ne crée pas ex nihilo notre rapport au réel: d’où vient cette différence?
– Schématiquement, on peut dire que le principe de spatialisation est central dans les régions où le soleil est mâle et la vue dégagée. C’est le cas des pays latins. En Allemagne, au nord en général, la brume voile la perception visuelle. Dans la forêt profonde surtout, c’est l’ouïe qui domine. L’oreille guette les bruits, qui évoluent d’un instant à l’autre.
– Toutes les langues du nord ne mettent pas le verbe à la fin…
– Disons que l’allemand est la langue qui a poussé à l’extrême son propre principe de cohérence. Prenez l’horizon métaphorique du mot «appartenance»: en français, il évoque un appartement. En allemand Zugehörichkeit contient le verbe hören, entendre: on appartient à un groupe si l’on est capable d’entendre son appel. Le rapport au réel passe par l’ouïe. C’est pourquoi la musique constitue l’une des contributions principales des germanophones à la culture universelle. Avec la philosophie spéculative, qui est son corollaire. La «logique» hégélienne peut en effet être lue comme l’équivalent d’une phrase allemande ininterrompue alignant tous les éléments possibles du verbe «être». On retrouve le même souci d’exhaustivité dans le traitement du thème musical (Durchführung) de la sonate classique.
– Les Allemands seraient plus portés sur l’action que les Français?
– Ils ont vraiment, je crois, une plus grande capacité à se projeter vers l’ailleurs. On le voit sur la scène économique mondiale, où ils sont très présents. Pourquoi les industriels français sont-ils si faibles à l’exportation? Ils sont trop bien dans l’«Hexagone», cet espace parfait!
– Vous dites également du français que c’est une langue «allusive» et «compactée». En cela, elle est donc sœur jumelle de l’anglais, qui devrait pourtant être plus proche de l’allemand…
– L’anglais a en commun avec le français d’avoir été façonné par l’usage de cour. D’où son caractère idiomatique: lorsqu’on demande pourquoi, en anglais, telle chose se dit de telle manière, on vous répond «parce que c’est comme ça». Il n’y a pas de règle, il faut maîtriser la convention, laquelle change selon le milieu où se reflète la hiérarchie sociale. Le français, à un degré moindre, a ce même caractère idiomatique, l’allemand pas du tout: socialement, c’est une langue nettement plus égalitaire.
– Mais pourquoi dites-vous que le français est «compacté»?
– Le propre du courtisan, c’est de parler des choses «à bon entendeur». La grande prouesse de La Princesse de Clèves consiste à évoquer une passion amoureuse sans jamais la désigner explicitement. La conséquence de cette culture du demi-mot est que, de Montaigne à Madame de La Fayette, des dizaines de milliers de vocables ont été abandonnés. Racine écrit ses tragédies avec mille cinq cents mots. «Ardeur» lui sert à désigner une foule de choses différentes, de l’amour à la haine en passant par le courage au combat. C’est ce qui fait dire à certains que le français est la langue européenne la plus proche du chinois.
– Quand on colle aux choses, on ne voit rien, seule la distance rend lucide, écrivez-vous: être bilingue, ça rend intelligent?
– Chaque langue portant en elle un reflet du réel, quand je décolle de la mienne pour aller vers une autre, j’enrichis ma capacité à percevoir de la réalité. Je me donne une chance de développer une intelligence réflexive, c’est-à-dire d’aller voir ailleurs et de revenir enrichi de ce que j’ai compris en m’écartant de moi. J’oppose cette attitude au syndrome identitaire, qui est la forme la plus stupide de l’affirmation de soi: on est fier de n’être que ce que l’on est. C’est très appauvrissant.
– Mais rassurant, car pour prendre de la distance, il ne faut pas avoir peur de tomber…
– Bien sûr que c’est rassurant, et les populismes de toutes espèces exploitent aujourd’hui honteusement cette tendance naturelle à vouloir rester entre soi. S’éloigner est toujours «une petite douleur», comme dit Hegel dans ses récits pédagogiques. Mais il insiste sur les gratifications bien plus grandes, à la fois intellectuelles et affectives, que procure l’expérience du retour. Il recommande donc de fonder l’enseignement sur l’approfondissement de cette expérience, pour laquelle les langues étrangères, y compris les langues mortes, jouent un rôle essentiel.
– Mais pourquoi une telle régression identitaire aujourd’hui?
– C’est comme si les gens ne trouvaient pas d’autre moyen de résister à la mondialisation. On vit dans un monde très ouvert, mais c’est une fausse ouverture car notre perception de l’ailleurs passe généralement par un filtre unique: celui du «globish», cette langue de service, dénuée de toute dimension connotative, qui réduit à la portion congrue notre rapport au réel. L’anglais international ne reflète guère que l’univers des marchandises.
– Vous êtes contre toute idée de langue unique?
– Oui. La nostalgie d’un paradis pré-babélique est très régressive. Le principe de vie, c’est la différenciation: vive la prolifération des langues!
– Le plurilinguisme n’est-il pas le privilège d’une élite?
– C’est un privilège auquel tout le monde a droit. Sous prétexte de démocratisation, l’école d’aujourd’hui abaisse son niveau d’exigence et, ce faisant, creuse l’écart social. Elle n’a aucune excuse pour ne pas jouer son rôle, qui est d’arracher les enfants au monolinguisme infantile afin de leur donner accès à d’autres univers mentaux.
* «Penser entre les langues» de Heinz Wismann, Ed. Albin Michel, 312 p.
Langues et pensée
Colloque organisé avec le soutien de la Fondation Hugot du Collège de France
Comité scientifique : Gérard Berry, Antoine Compagnon, Stanislas Dehaene, Jean-Noël Robert
Au commencement, est-ce la langue, le langage ou la pensée ? Si l’on admet que la réflexion philosophique est intimement liée à la langue dans laquelle elle se formule, qu’en est-il de la traduction des textes philosophiques et de la continuité de la pensée philosophique lorsqu’elle entend poursuivre une même tradition d’une langue à l’autre ?
La question se pose avec autant, voire plus d’acuité lorsqu’il s’agit de textes religieux : le passage de la théologie grecque à la langue latine souleva des conflits qui ne sont pas apaisés ; le bouddhisme d’expression chinoise ne fut pas une simple transposition des sources indiennes.
Quant au rapport entre les langues et les sciences, à commencer par celle qui semble la plus libre des contraintes linguistiques, les mathématiques, alors que certains chercheurs, pour qui cette discipline est en soi un langage indépendant des langues naturelles, soutiennent que celles-ci ne sauraient influer sur leur travail, un mathématicien russe assurait qu’il ne pouvait imaginer faire des mathématiques hors de la langue russe.
L’autre point de vue exprimé dans le titre renvoie à une question plus fondamentale : peut-il y avoir pensée sans langage, en dehors du langage ? Voire un langage sans pensée ? La traduction automatique des langues a fait des progrès énormes depuis qu’elle est sortie de l’emprise des linguistes pour être traitée par l’informatique et les big data : on pourrait traduire sans se référer au contenu. Comment transposer le problème dans le monde animal, et que révèlent les pathologies du langage ?