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30# LITTERATURE, POESIE, BD
La densité intellectuelle contenue de la littérature surpasse celle de tous les autres arts. Les lettres, le langage peuvent procurer infiniement plus de sens, des messages, d'histoires que la sculpture et la musique. .
Les premiers écrits retrouvés ont pu l'être grâce à la durabilité de leur mode de fabrication : papyrus, tablettes d'argile (comme le code d'Hammurabi exposé au Musée du Louvre). Il s'agissait d'éléments de comptabilité [Normes] inscrits sur des tablettes d'argiles datant de l'époque des Babyloniens. La culture de l'écrit a donc démarré pour des raisons économiques.
Le mot poésie évoluera encore vers un sens plus restrictif en s’appliquant aux textes en vers qui font un emploi privilégié des ressources rhétoriques, sans préjuger des contenus : la poésie sera descriptive, narrative et philosophique avant de faire une place grandissante à l’expression des sentiments.
En effet, première expression littéraire de l’humanité, utilisant le rythme comme aide à la mémorisation et à la transmission orale, la poésie apparaît d’abord dans un cadre religieux et social en instituant les mythes fondateurs dans toutes les cultures que ce soit avec l’épopée de Gilgamesh, (IIIe millénaire av. J.‑C.) en Mésopotamie, les Vedas, le Rāmāyana ou le Mahabharata indiens, la Poésie dans l'Égypte antique, la Bible des Hébreux ou l'Iliade et l'Odyssée des Grecs, l'Enéide des Latins. Certains s'en sont même inspirés pour faire du #Cinéma comme George Lucas avec Star Wars.
Pourquoi aujour'hui la poésie est-elle la chasse gardée des écoliers ou des intellectuels ? La poésie demande à la fois un intérêt pour les lettres et beaucoup de créativité. Bien moins attractive que des SMS ou Tweets.
CHAPITRE 30 - LITTERATURE, POESIE, BD
Certaines oeuvres évoquent des histoires réelles ou imaginaires entre des personnages sans messages particuliers sans références à un contexte. D'autres oeuvres, au contraire, abordent des thèmes particuliers de manière plus ou moins explicite.
Difficile de trouver des illustrations et des réflexions sur des thèmes de société et sur l'économie (immobilier, environnement, etc) dans des livres classiques et comptemporains. Balzac, Zola étaient de bons observateurs de la vie sociale et économique. L'Argent pour Zola, Au bonheur des dames, sur grands magasins pour Balzac, ne sont que quelques exemples. Peu de livres font dates.
Par exemple, la littérature n'a pas encore eu le temps de s'emparer du vieillissement, l'un des enjeux les plus importants des années 2020-2050. Pourtant, un auteur italien assez méconnu, a consacré une courte nouvelle sur les "vieux" en 1966. Dans "Chasseur de vieux", Dino Buzati avait poussé le vice jusqu'à imaginer des progroms anti-vieux de plus de 40 ans. Les enfants chassaient leurs parents.
Sur l'économie, Baudelaire s'était emporté contre le commerce, le qualifiant de satanique dans ses notes retrouvées avec son recueil de fragments inachevés "Mon coeur mis à nu" publié à titre posthume en 1887. Un énervement plus qu'une analyse rationnelle ou poétique.
En matière de géopolitique, les romans d'aventure ou d'espionnages pullulent et s'inspirent parfois de la réalité. Alexandre Malafaye aborde l'influence chinoise dans sa trilogie Geopoly parue de 2008 à 2012. Il est question de trois empires de l'espionnage : L'Homme de Washinton (2012), Roulettes russes (2009), et Jeux Chinois (2008). Parmi les histoires imaginées : la prise en main par les chinois des réseaux de contrebandiers du Sahel, les manoeuvres de la Reine d'Angleterre pour faire élir Barack Obama, ou les histoires d'un trafiquant d'oeuvre d'art russe dans un contexte de tension sur l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
La destruction des livres
Les livres, vecteurs de culture ont souvent été pris volontairement pour cible lors des grands conflits militaires de l'histoire. Ray Bradbury sensible à ces enjeux en a écrit un célèbre roman, Farenheit 451 sorti en 1953 et adapté au cinéma en 1966 par François Truffaut.
NOTES
Notes
[Le jour n'est pas éloigné où, au lieu du feu, les bibioclastes utiliseront des programmes informatiques dévastateurs et "propres"]
Lire les classiques, l'inconscient des nations / Les classiques sont devenus les mythes clairvoyants de nos sociétés faussement démythifiées. Leur lecture permet, après avoir créé un socle commun de références, de fuir la propagande du groupe social. Il faut rire de l'assurance social d'un groupe social très fier de lui. C'est le refus du fétichisme qui fait le sel des classiques.
RESSOURCES
Des hommes qui lisent, Edouard Philippe, JC Lattès, 2017
Histoire universelle de la destruction des livres, Fernando Baez, Fayard, Mars 2008
Livres en feu, Lucien X. Polastron, Gallimard, 2015
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Un monde sans littérature serait un monde sans désirs, sans idéal, sans insolence, un monde d’automates privés de ce qui fait qu’un être humain le soit vraiment : la capacité de sortir de soi-même pour devenir un autre et des autres, modelés dans l’argile de nos rêves. Mario Vargas Llosa
S'attaquer au manque d'intérêt pour la lecture, populariser la lecture et rendre accessibles les livres, voila de bonnes actions.
Education des enfants : contre la télévision, pour le jeu et la lecture
Tenir les enfants loin de la nourrice médiatique.
C’était à la fois frustrant, lorsque mes copains passaient l’heure du déjeuner à la cantine à se raconter le film de la veille, et totalement indifférent : j’avais plus de temps pour jouer et pour lire, et tout allait très bien.
Jouer est sans doute aussi important pour un enfant que lire. Aussi formateur et structurant. Aussi épanouissant et nécessaire. Jouer, travailler, aimer, faire du sport, aider ne sont ni moins agréables ni moins importants que lire.
Le résultat n’est guère surprenant : plus les parents ont des livres chez eux, mieux les enfants réussissent à l’école.
Mais là où l’étude devient plus intéressante, et plus redoutable, c’est que lire à des enfants, tous les soirs, des livres, n’a à peu près aucun impact mesurable sur leur réussite scolaire ! Conclusion des auteurs : dans le fond, si les parents ont une influence sur leurs enfants, ce n’est pas par ce qu’ils font mais par ce qu’ils sont.
Jean de La Fontaine sur la Primaire à droite
La Fontaine est un auteur éminemment politique. Je me sers d’animaux pour instruire les hommes écrit-il dans la dédicace au Dauphin (on goûtera l’ironie) d’un de ses recueils. Ne faut-il que délibérer, La cour en conseillers foisonne ; Est-il besoin d’exécuter, L’on ne rencontre plus personne. Nous avions oublié la morale d’une autre fable de La Fontaine, « Le Renard et le Bouc » : En toute chose il faut considérer la fin. Pas assez à droite, donc, pour une primaire.
Real Politik
Cela faisait partie des critiques régulières que subissait le rocardien que j’étais lorsque j’osais affirmer que tout n’était pas dicible, que tout n’était pas faisable, qu’il y avait toujours un moment où le principe de réalité économique finissait par se rappeler aux bons souvenirs des idéalistes les plus chevelus et les plus généreux.
Culture et utilité
C’est celui qui part de l’idée juste que la culture est utile à quelque chose, et qui développe, à tort, une politique culturelle pour atteindre ce quelque chose. Intégration sociale, développement touristique, réussite scolaire, redynamisation rurale, qu’importe l’objectif légitime qu’on lui assignera, la politique culturelle s’égare toujours un peu lorsqu’on lui demande d’abord de servir à quelque chose.
Mais c’est justement parce que l’action publique instrumentalise trop souvent le fait culturel qu’il faut poser ce principe simple : la culture ne sert d’abord à rien sinon à elle-même. Si la culture est d’abord une rencontre entre un individu et une œuvre, alors la politique culturelle devrait avoir comme objet premier de permettre une rencontre.
Livre et relations interpersonnelles
Offrir un livre n’est pas neutre. Offrir quelque chose ne l’est jamais vraiment d’ailleurs. Mais on dit bien des choses par l’intermédiaire d’un livre, qui n’est pas un objet comme les autres.
François Mitterrand, dont on peut tout dire sauf qu’il n’était pas un homme de culture, l’avait bien compris : pour exprimer son intérêt à une dame, il commençait par lui offrir un exemplaire de Belle du Seigneur, d’Albert Cohen… Je ne sais pas si l’anecdote, que j’ai trouvée dans Le Palais des livres, essai de Roger Grenier paru en 2011, est exacte. Mais elle correspondrait assez au personnage de Mitterrand d’une part, et à la force symbolique du livre offert d’autre part… Le livre offert construit une complicité. Il renforce une relation, il ébauche sa construction, il signifie quelque chose qui ne se résume pas au cadeau. Et j’ai le sentiment que c’est toujours plus fort, et moins anodin, que des fleurs ou qu’une boîte de chocolats.
Ont-ils évoqué, eux ou d’autres, les relations de deux êtres liés par un livre, offert par l’un et reçu par l’autre, l’évolution positive ou négative que cela produit chez eux, les bouleversements inattendus ou intentionnels qui en découlent ?
Offrir un livre, c’est transmettre une partie de soi. Il fut un temps, pas très lointain, où cette transmission passait essentiellement par les livres.
Offrir un livre n’est jamais neutre et peut, entre deux individus, être l’instrument d’une transmission immatérielle, parfois indicible, mais puissante.
C’est le 23 avril qui fut choisi, à la fois pour célébrer l’identité catalane et pour commémorer la disparition du plus célèbre écrivain espagnol, Cervantès, mort le 23 avril 1616. Depuis, à la Saint Jordi, les hommes continuent d’offrir des roses aux femmes et les femmes offrent des livres aux hommes.
Alors soyons catalans ! Offrons des livres au moins aussi souvent que des fleurs. Et pensons à cette part de nous-même qui passe avec le livre à celui ou celle qui est l’objet de nos attentions !
Lecture et hommes politiques
Puis vint Chirac, que la littérature ennuyait, qui ne jurait que par l’ethnologie, l’art et la poésie mais qui s’en défendait : Françoise Giroud disait plaisamment de lui qu’il était du genre à cacher un recueil de poésie derrière la couverture de Play Boy. Puis Sarkozy, que tout ennuyait, hors la politique ; au moins découvrit-il la littérature sur le tard, faisant savoir avec une fierté enfantine et presque émouvante qu’il avait découvert Guerre et Paix. Je crois même l’avoir entendu dire qu’il en avait lu 70 %. Et arriva enfin Hollande, qui lui ne lisait plus rien et ne s’en cachait pas.
On attend des politiques qu’ils aient une vision du monde. Où la trouver ? Dans la quotidienneté seulement ? Lire, c’est prendre de la distance, acquérir une vision, se constituer tout au long de la vie.
Autour du livre, d'après Wikipedia
Ce projet vient de la rencontre entre le journaliste et écrivain Louis Pauwels, et l'ingénieur chimiste Jacques Bergier, passionné par toutes sortes de mystères9. La mise en forme du livre nécessite cinq années, sur la base d'une volumineuse documentation. L'objectif des auteurs est alors d'éveiller la curiosité du public : « Il y aura sans doute beaucoup de bêtises dans notre livre, répétons-le, mais il importe assez peu, si ce livre suscite quelques vocations et, dans une certaine mesure, prépare des voies plus larges à la recherche ».
Soutenus par certains, dont le sociologue Edgar Morin qui publie des articles favorables dans Le Monde, vitupérés par l’Union rationaliste qui les attaque dans l'ouvrage collectif. Le Crépuscule des magiciens, les auteurs du Matin des magiciens poursuivent leur mouvement, qu'ils qualifient de « réalisme fantastique », avec, comme principal organe, la revue Planète.
Le Matin des magiciens, phénomène sociologique non négligeable, a remis à la mode l'imaginaire, l'irrationnel et l'étrange, qui avaient été, à partir des années 1920, en partie revalorisés par les premiers surréalistes, mais dans une optique sensiblement différente.
Ce mouvement a été largement exploité par le journaliste suisse Erich von Däniken qui en 1968, développe la théorie des anciens astronautes.
Cette même année, Jacques Bergier apparaît sous le crayon d'Hergé dans Vol 714 pour Sydney, album où Tintin se trouve confronté à des traces d'une civilisation très ancienne apparemment d'origine extra-terrestre.
Le groupe Martin Circus s'en inspire, en 1969, dans sa chanson Le Matin des magiciens.
Extrait de Max-Pol Fouchet, le feu la flamme d'Adeline Baldacchino / Octobre 2013
"Max - Pol n’a pas la foi mais demeure en revanche très perméable à l’ésotérisme sous toutes ses formes . S’il a donné un entretien à Planète à propos de l’Inde , c’est aussi parce que c’est la revue de Louis Pauwels et Jacques Bergier , qui viennent de publier Le Matin des magiciens , une somme de témoignages et d’études sur des domaines aux « frontières » de la science et de l’imaginaire – sciences occultes , alchimie , civilisations disparues , etc . Le courant du « réalisme fantastique » s’attache alors à démontrer l’interpénétration du surréel et du réel . L’attrait pour le paranormal et le parapsychique s’inscrit dans la continuité d’une vocation mystique qui tente de déchiffrer les différents signes de l’inconnu . Il rejoint ainsi par d’autres voies , joueuses et inspirées par la science moderne ou l’art du conte de Borges , la curiosité du Victor Hugo qui faisait tourner les tables à Guernesey et les intuitions des surréalistes usant et abusant de l’hypnose . C’est aussi sous ce prisme qu’il faut lire la passion de Max - Pol pour les écrivains sud - américains du « réalisme magique » ou du « réalisme merveilleux » tels que García Márquez , Cortázar ou Alejo Carpentier . Toujours , sous la fine carapace du réel qui pourrait nous sembler solide alors qu’elle se craquelle."
http://abalda.tumblr.com/
Roberto Saggini , administrateur d’une petite fabrique de papier , quarante - six ans , les cheveux gris , bel homme , arrêta son auto à quelques pas d’un bar - tabac encore ouvert , on ne sait trop par quelle chance . Il était deux heures du matin . « Une minute , je reviens tout de suite » , dit - il à la jeune femme assise près de lui . C’était un beau brin de fille , à la lumière des réverbères au néon son rouge à lèvres se détachait comme une fleur épanouie . Devant le tabac plusieurs voitures étaient garées . Il avait dû s’arrêter un peu plus loin . C’était un soir de mai , l’air printanier était tiède et vif à la fois . Toutes les rues étaient désertes . Il entra au bar , acheta ses cigarettes . Comme il était sur le pas de la porte et s’apprêtait à rejoindre sa voiture , un appel sinistre résonna . Est - ce qu’il venait de la maison d’en face ? d’une rue latérale ? ou bien ces créatures surgissaient - elles de l’asphalte ? Deux , trois , cinq , sept silhouettes rapides fondirent concentriquement en direction de la voiture . « Allez ! Tombez - lui dessus ! » Et là - dessus , un coup de sifflet prolongé , modulé , la fanfare de guerre de ces jeunes canailles : aux heures les plus imprévues de la nuit , ce signal tirait de leur sommeil des quartiers entiers et les gens , frissonnant , se pelotonnaient encore plus dans leur lit , en priant Dieu pour le malheureux dont le lynchage commençait . Roberto mesura le danger . C’est après lui qu’ils en avaient . On vivait une époque où les hommes de plus de quarante ans y réfléchissaient à deux fois avant d’aller se promener en plein milieu de la nuit .
Après quarante ans on est vieux . Et les nouvelles générations éprouvaient un total mépris pour les vieux .
Un sombre ressentiment dressait les petits - fils contre les grands - pères , les fils contre les pères . Et ce n’est pas tout : il s’était créé des espèces de clubs , d’associations , de sectes , dominés par une haine sauvage envers les vieilles générations , comme si celles - ci étaient responsables de leur mécontentement , de leur mélancolie , de leurs désillusions , de leur malheur qui sont le propre de la jeunesse depuis que le monde est monde . Et la nuit , les bandes de jeunes se déchaînaient , surtout en banlieue , et pourchassaient les vieux . Quand ils parvenaient à en attraper un ils le bourraient de coups de pied , ils lui arrachaient ses vêtements , le fouettaient , le peinturluraient de vernis et puis l’abandonnaient ligoté à un arbre ou à un réverbère .
Dans certains cas , tout à la frénésie de leur rite brutal , ils dépassaient la mesure . Et à l’aube , on trouvait au milieu de la rue des cadavres méconnaissables et souillés . Le problème des jeunes ! Cet éternel tourment , qui depuis des millénaires s’était résolu sans drame de père en fils , explosait finalement . Les journaux , la radio , la télévision , les films y étaient pour quelque chose . On flattait les jeunes , on les plaignait , ils étaient adulés , exaltés , encouragés à s’imposer au monde de n’importe quelle façon . Jusqu’aux vieux qui , apeurés devant ce vaste mouvement des esprits , y participaient pour se créer un alibi , pour faire savoir – mais c’était bien inutile – qu’ils avaient cinquante ou soixante ans , ça oui , mais que leur esprit était encore jeune et qu’ils partageaient les aspirations et les souffrances des nouvelles recrues . Ils se faisaient des illusions . Ils pouvaient bien raconter ce qu’ils voulaient , les jeunes étaient contre eux , les jeunes se sentaient les maîtres du monde , les jeunes , en toute justice , réclamaient le pouvoir jusqu’alors tenu par les patriarches .
« L’âge est un crime » , tel était leur slogan . D’où les chasses nocturnes devant lesquelles l’autorité , inquiète à son tour , fermait volontiers un œil . Tant pis pour eux après tout si des croulants , qui auraient mieux fait de rester chez eux au coin de leur feu , s’offraient le luxe de provoquer les jeunes avec leur frénésie sénile . C’était surtout les vieux en compagnie de femmes jeunes qui étaient visés . Alors la jubilation des persécuteurs ne connaissait plus de bornes . Dans ces cas - là l’homme était ligoté et roué de coups tandis que , sous ses yeux , sa compagne était soumise , par ses contemporains , à de longues violences corporelles raffinées de tout genre .
Roberto Saggini mesura le danger . Il se dit : Je n’ai pas le temps d’arriver jusqu’à l’auto . Mais je peux me réfugier au bar , ces petits salauds n’oseront pas entrer . Elle , au contraire , elle aura le temps de fuir . — Silvia , Silvia ! cria - t - il , démarre ! dépêche - toi ! vite ! vite ! Heureusement la fille comprit . D’un coup de hanche rapide elle se glissa devant le volant , mit le contact , passa en première et démarra à toute allure en emballant le moteur . L’homme eut un soupir de soulagement . Maintenant il devait penser à lui . Il se retourna pour trouver son salut dans le bar . Mais au même instant le rideau de fer fut baissé d’un seul coup . — Ouvrez , ouvrez , supplia - t - il . Personne ne répondit de l’intérieur . Comme toujours , quand un raid de jeunes se déclenchait , ils restaient tous tapis dans leur coin . Personne ne voulait voir ou savoir , personne ne voulait s’en mêler . Il n’y avait plus un instant à perdre . Bien éclairés par des réverbères puissants , sept , huit types convergeaient vers lui , sans même courir , tant ils étaient certains de l’attraper . L’un d’eux , grand , pâle , le crâne rasé , portait un tricot rouge foncé où se détachait un grand R majuscule blanc . « Je suis fichu » , pensa Saggini .
Les journaux parlaient de cet R depuis des mois . C’était le signe de Sergio Régora , le chef de bande le plus cruel qui soit . On racontait qu’il avait personnellement réglé leur compte à plus d’une cinquantaine de vieux . La seule chose à faire était de se risquer . À gauche , au fond de la petite rue , s’ouvrait une large place où s’était installée une fête foraine . Le tout était de réussir à arriver sans encombre jusque - là . Après , dans le fouillis des boutiques , des caravanes , ce serait facile de se cacher . Il partit à fond de train , il était encore un homme agile , et il vit , du coin de l’œil , une gamine courtaude qui débouchait sur sa droite pour lui couper le chemin , elle aussi portait un pull - over avec le R blanc . Elle avait un visage renfrogné extrêmement déplaisant et une bouche large qui criait : « Arrête - toi , vieux cochon ! » Sa main droite serrait une lourde cravache de cuir . La gamine lui tomba dessus . Mais l’homme porté par son élan la renversa et elle se retrouva par terre avant d’avoir eu le temps de le frapper . S’étant ainsi frayé un chemin , Saggini , avec tout le souffle qui lui restait , s’élança vers l’espace sombre . Un grillage entourait l’endroit de la fête foraine . Il le franchit d’un bond , courut là où les ténèbres lui semblaient les plus épaisses . Et les autres toujours derrière lui . — Ah ! il veut nous échapper , le salaud ! s’écria Sergio Régora qui ne se pressait pas outre mesure , convaincu de tenir déjà sa proie . Et il ose nous résister par - dessus le marché ! Sa bande galopait à côté de lui :
— Oh ! chef , écoute ! Je voudrais te dire quelque chose … Ils étaient arrivés devant la foire . Ils s’arrêtèrent . — Et t’as besoin de me dire ça maintenant ? — J’voudrais bien m’tromper mais j’ai l’impression que c’type - là c’est mon paternel . — Ton père , ce salaud ? — Vouais , on dirait bien que c’est lui . — Tant mieux . — Mais je … — Oh ! tu vas pas la ramener maintenant , non ? — Ben ! c’est que ça me paraît … — Quoi ! tu l’aimes ? — Oh ! ça non alors ! c’est un tel imbécile … Et puis un enquiquineur de première . Il en a jamais fini … — Alors ? — Ben ça me fait tout de même quelque chose , quoi , si tu veux savoir . — Tu n’es qu’une andouille , un froussard , une lavette . T’as pas honte ? Le coup s’est encore jamais produit avec mon père mais je te jure que ça me ferait jouir ! Allez , allez , maintenant c’est pas tout , il faut le faire sortir de là .
Le cœur battant , essoufflé par sa course , Saggini s’était camouflé en se faisant le plus petit possible devant une grande banne , peut - être celle d’un cirque , complètement dans l’ombre , tâchant de se fondre sous les pans de toile . À côté , à cinq , six mètres , il y avait une roulotte de romanichels avec sa petite fenêtre allumée . L’air fut déchiré d’un nouveau coup de sifflet des jeunes voyous . Dans la roulotte on entendit un remue - ménage . Et puis une grosse femme opulente et très belle se montra sur le pas de la petite porte , curieuse . — Madame , madame , balbutia Saggini , de sa cachette incertaine . — Qu’est - ce qu’il y a ? fit - elle méfiante . — Je vous en supplie , laissez - moi entrer . Je suis poursuivi . Ils veulent me tuer . — Non , non , on ne veut pas d’embêtements ici . — Vingt mille lires pour vous si vous me laissez entrer . — Quoi ? — Vingt mille lires . — Non , non . Ici on est des gens honnêtes , nous autres . Elle se retira , referma la porte , on entendit le bruit du verrou intérieur . Et puis même la lumière s’éteignit . Silence . Pas une voix , pas un bruit de pas . Est - ce que la bande aurait renoncé ? Une horloge lointaine sonna le quart de deux heures . Une horloge lointaine sonna la demie de deux heures . Une horloge lointaine sonna les trois quarts de deux heures . Lentement , attentif à ne pas faire de bruit , Saggini se releva .
Maintenant peut - être il allait pouvoir se tirer de là . Soudainement un de ces maudits lui tomba dessus , et leva la main droite en brandissant une chose qu’on ne distinguait pas bien . Saggini , en un éclair , se souvint de ce que lui avait dit un ami , bien des années auparavant : si quelqu’un cherche la bagarre , il suffit d’un coup de poing au menton , mais l’important est de bondir de toutes ses forces au même moment en sorte que ce n’est pas seulement le poing mais tout le poids du corps qui frappe l’agresseur . Saggini se détendit tandis que son poing rencontrait quelque chose de dur avec un sourd craquement . « Ah ! » gémit l’autre , s’affaissant lourdement sur le dos . Dans le visage contracté et douloureux qui se renversait en arrière , Saggini reconnut son fils . « Toi ! Ettore … » et il se pencha avec l’intention de le secourir . Mais trois ombres débouchèrent . — Il est là , le voilà , tapez - lui dessus à ce sale vieux ! Il s’enfuit comme un fou , bondissant d’une zone d’ombre à une autre , talonné par le halètement des chasseurs , toujours plus furieux et plus proche . Tout à coup un objet en métal heurta sa joue , provoquant une atroce douleur . Il fit un écart désespéré , chercha une voie d’échappement , ils l’avaient acculé aux limites de la foire , qui ne pouvait plus lui offrir de salut .
Un peu plus loin , à une centaine de mètres , les jardins commençaient . L’énergie du désespoir lui permit de franchir cette distance sans être rejoint . Et cette manœuvre désorienta même les poursuivants . L’alarme ne fut donnée qu’au dernier moment , alors qu’il avait déjà atteint la lisière d’un petit bois . — Par là , par là , regardez - le , il veut se cacher dans le bois . Allez , allez sus au croulant ! La poursuite reprit . Si seulement il pouvait tenir jusqu’aux premières lueurs de l’aube , il serait sauvé . Mais combien de temps encore à passer avant ! Les horloges , çà et là sonnaient les heures , mais dans son angoisse fiévreuse il n’arrivait pas à compter les coups . Il descendit une colline , déboula dans une petite vallée , grimpa sur une rive , traversa une quelconque rivière , mais chaque fois qu’il se retournait et regardait derrière lui , trois , quatre de ces canailles étaient toujours là , implacables , gesticulant frénétiquement tout en le pourchassant . Lorsque , ses dernières forces épuisées , il se jucha péniblement sur le rebord d’un vieux bastion à pic , il vit que le ciel , au - delà de la masse des toits , pâlissait . Mais il était trop tard désormais . Il se sentait complètement exténué . Le sang coulait à flots de sa joue balafrée . Et Régora était sur le point de le rattraper . Il devina dans la pénombre son ricanement blanc .
Ils se trouvèrent face à face tous les deux sur l’étroite arête herbeuse . Régora n’eut même pas à le frapper . Pour l’éviter Saggini fit un pas en arrière , ne trouva que le vide et tomba , roulant sur le versant à pic , tout en pierres et en ronces . On entendit un bruit mou puis un gémissement déchirant . — Il n’y a pas laissé sa peau , mais on lui a donné la leçon qu’il méritait , dit Régora . Maintenant , il vaut mieux foutre le camp . On ne sait jamais , avec les flics . Ils s’en allèrent par petits groupes , en commentant leur chasse et en se tordant de rire . Mais elle avait duré longtemps cette fois . Aucun vieux ne leur avait donné autant de fil à retordre . Eux aussi ils se sentaient fatigués . Qui peut savoir pourquoi , ils étaient très las .
Le petit groupe se disloqua . Régora partit d’un côté avec la gamine . Ils arrivèrent à une place illuminée . — Qu’est - ce que tu as sur la tête ? demanda - t - elle . — Et toi ? Toi aussi . Ils s’approchèrent l’un de l’autre , s’examinant réciproquement . — Mon Dieu , tu en as une figure ! Et tout ce blanc sur tes cheveux ! — Mais toi aussi , tu as une tête épouvantable . Une inquiétude soudaine . Cela n’était jamais arrivé encore à Régora . Il s’approcha d’une vitrine pour se regarder . Dans le miroir il vit très distinctement un homme sur la cinquantaine environ , les yeux et les joues flasques , les paupières flétries , un cou comme celui des pélicans . Il essaya de sourire , il lui manquait deux dents , juste sur le devant . Était - ce un cauchemar ? Il se retourna . La fille avait disparu . Et puis du fond de la place , à toute allure , trois garçons se précipitèrent sur lui . Ils étaient cinq , huit . Ils lancèrent un long coup de sifflet terrifiant . — Allez , allez , tombez - lui dessus au croulant ! Maintenant c’était lui le vieux . Et son tour était arrivé . Régora commença à courir de toutes ses forces , mais elles étaient faibles . La jeunesse , cette saison fanfaronne et sans pitié qui semblait devoir durer toujours , qui semblait ne jamais devoir finir . Et une nuit avait suffi à la brûler . Maintenant il ne restait plus rien à dépenser.
L'Utilité de l'inutile selon Heidegger
Expérimenter l’inutile reste pour l’homme d’aujourd’hui ce qu’il y a de plus difficile. L’utile est compris comme l’utilisable pratique à finalité technique immédiate, comme ce qui produit un effet quelconque avec lequel je peux faire du commerce et de l’industrie. Il faut arriver à voir l’utile au sens du salutaire [Heilsamen], c’est-à-dire en tant que ce qui amène l’être humain même auprès de soi. En grec θεώρια [theôria] est repos à l’état pur, ἐνέργεια [energeia] suprême, le mode le plus élevé de se-mettre-à-l’œuvre, abstraction faite de tout savoir-faire [Machenschaften] pratique : laisser-venir-en présence [Anwesenlassen] le présent lui-même.
Cherchant à détacher la notion d’utilité d’une finalité exclusivement technique et commerciale, le philosophe allemand formule clairement la difficulté pour ses contemporains de comprendre l’importance de l’inutile. Pour l’« homme d’aujourd’hui », en effet, il est de plus en plus compliqué d’éprouver de l’intérêt pour quelque chose qui n’implique aucune utilisation en vue d’une « finalité technique immédiate ».